II
OUBLIONS LE PASSÉ

Bolitho se déhala le long de la muraille et agita son chapeau en direction de la dunette. La brume avait disparu, et, sur l’autre rive de l’Hamoaze, les maisons de Plymouth semblaient revivre, malgré la présence de lourds nuages gris.

Il revenait épuisé de son expédition, sale de cette nuit passée sous la grange. Le spectacle des six recrues qu’il avait levées et que le capitaine d’armes avait emmenées à l’avant ne lui remontait même pas le moral. Ils avaient ramassé le sixième et dernier homme à peine une heure avant de rentrer : un garçon plutôt propre, pas l’air d’un marin pour un sou, la trentaine. Il prétendait être commis chez un apothicaire et avoir envie d’élargir ses compétences en partant pour un long voyage.

La fable était aussi difficile à croire que celle des deux paysans, mais Bolitho n’avait plus la force de lutter.

— Ah ! vous voilà de retour, monsieur Bolitho.

La grande carcasse du premier lieutenant accoudé à la rambarde de la dunette se détachait sur le fond du ciel. Les bras croisés, il observait visiblement depuis le début le spectacle offert par les nouveaux embarqués.

— Voudriez-vous venir à l’arrière ? fit-il de sa grosse voix.

Bolitho grimpa l’échelle bâbord et se dirigea vers la dunette. Little, qui lui avait tenu compagnie depuis trois jours, dévalait déjà une descente, visiblement pressé d’aller se « rafraîchir » avec ses camarades. Il fut avalé par le monde de l’entrepont, laissant Bolitho perdu, dans le même état que lorsqu’il était monté à bord pour la première fois.

Arrivé près du premier lieutenant, il le salua. Palliser s’était fait un air de circonstance, irréprochable, ce qui mit Bolitho encore plus mal à son aise.

— Six hommes, monsieur, déclara-t-il. Ce gros était lutteur de foire, et c’est une bonne recrue. Le dernier travaillait pour un apothicaire de Plymouth.

Il avait l’impression de parler à un mur. Palliser n’avait pas fait un geste, et la dunette était étrangement calme.

— J’ai fait de mon mieux, conclut-il, en désespoir de cause.

Palliser tira sa montre.

— Parfait. À propos, le capitaine a regagné le bord durant votre absence. Il souhaite vous voir dès que possible.

Bolitho le fixait, s’attendant à voir le ciel lui tomber sur la tête : six hommes seulement au lieu de vingt, dont un qui ne ferait jamais un marin.

Palliser referma sèchement le couvercle de son oignon et l’examina froidement.

— Votre long séjour à terre vous a peut-être rendu légèrement sourd ? Le capitaine désire vous voir. Cela ne signifie pas « dès que possible ». À bord de ce bâtiment, cela signifie : au moment où le capitaine y a songé !

Bolitho contemplait tristement ses chaussures pleines de boue et ses bas qui ne valaient guère mieux.

— Je… je suis vraiment désolé, monsieur, je pensais que vous parliez de…

Palliser regardait déjà ailleurs, l’œil attiré soudain par des hommes qui s’activaient sur le gaillard d’avant.

— Je vous avais demandé de trouver vingt hommes. À supposer que j’aie dit six, combien en auriez-vous ramené ? Deux ? Ou pas un seul ? Maintenant, présentez-vous chez le capitaine. Nous avons du pâté de porc aujourd’hui, activez-vous sans quoi il ne vous en restera pas grand-chose.

Et tournant les talons, il appela :

— Monsieur Slade, que font ces imbéciles, vous ne voyez donc rien ?

Bolitho se précipita dans la descente. Il aperçut vaguement quelques silhouettes grises, les conversations s’arrêtaient sur son passage. « Le nouveau lieutenant qui va voir le capitaine. À quoi peut-il bien ressembler ? Sévère ou pas ?… »

Un fusilier se tenait en faction. L’arme au pied, roulant doucement avec le navire qui tirait sur son ancre. Bolitho aperçut la lanterne, allumée, qu’il fit jour ou nuit, lorsque le capitaine était à bord.

Dans un dernier effort, il rectifia son foulard et remit rapidement ses cheveux en ordre.

Le factionnaire lui accorda cinq secondes, pas une de plus, avant de faire claquer réglementairement son mousquet sur le pont.

— Le troisième lieutenant, monsieur !

La portière de toile s’entrouvrit et un individu aux cheveux blancs, sans doute le secrétaire du commandant, lui fit signe d’entrer d’un geste impatient. On eût dit un instituteur s’adressant à un orphelin de guerre.

Bolitho saisit fermement son chapeau sous son bras et pénétra dans la chambre. Comparé au reste du bâtiment, l’endroit était spacieux. Une nouvelle toile séparait la chambre de poupe de la salle à manger et de ce que Bolitho s’imagina être la chambre à coucher.

Les grandes fenêtres de poupe inclinées brillaient au soleil, donnant aux lieux une agréable impression de chaleur, encore renforcée par les reflets changeants de la mer qui chatoyaient sur les barrots et le mobilier.

Le capitaine Henry Vere Dumaresq était penché à la rambarde, apparemment occupé à contempler l’eau, mais il fit volte-face avec une agilité inattendue lorsque Bolitho pénétra dans la salle à manger.

Bolitho essayait désespérément de paraître calme et détendu, mais rien à faire. Le capitaine ne ressemblait à rien qu’il eût déjà vu. Lourd et épais, il avait une tête massive qui semblait reposer directement sur les épaules. Tout dans le personnage donnait une impression de force et de puissance. D’après Little, Dumaresq avait vingt-huit ans, mais il paraissait sans âge, inchangé depuis sa jeunesse et destiné à rester indéfiniment ainsi.

Il avança pour accueillir Bolitho, plaçant un pied devant l’autre avec une précision de métronome. Bolitho voyait maintenant ses jambes, soulignées par des bas blancs de grand prix : son mollet était aussi gros que la cuisse d’un homme normal.

— Vous m’avez l’air bien abattu, monsieur Bolitho.

Il parlait d’une profonde voix de gorge, une voix capable de vous dominer un ouragan mais aussi de s’adoucir quand il était besoin.

— Oui monsieur, répondit-il timidement, je… euh, j’étais à terre avec le détachement de presse.

Dumaresq lui montra un siège.

— Asseyez-vous – élevant un peu le ton : Un peu de bordeaux !

L’effet ne se fit pas attendre : un maître d’hôtel apparut comme par enchantement, versa du vin dans deux verres finement ciselés et disparut comme il était venu.

Dumaresq s’assit en face de Bolitho, à moins d’un mètre. Sa présence, l’impression de puissance qui se dégageait de lui avaient quelque chose d’énervant. Bolitho se souvint de son précédent capitaine : à bord de son gros soixante-quatorze, c’était quelqu’un qui se tenait à l’écart du monde et du bruit, isolé des rumeurs du carré et des clameurs de l’entrepont. Il n’apparaissait qu’aux moments de crise ou pendant les cérémonies, et toujours en gardant une certaine distance.

— Mon père a eu l’honneur de servir avec le vôtre, reprit le capitaine. Comment va-t-il ?

Bolitho songea à sa mère et à sa sœur qui attendaient son père à Falmouth, sa mère qui comptait les jours, inquiète de savoir dans quel état il reviendrait. Lorsque son père avait perdu un bras aux Indes, on lui avait signifié que, ce commandement achevé, il serait mis à la retraite d’office.

— Il est sur le chemin du retour, monsieur. Mais avec son bras en moins, il n’a aucune chance de rester au service du roi, et je ne sais pas très bien ce qu’il va devenir.

Il se tut, soudain gêné d’en avoir dit tant.

— Buvez donc, monsieur Bolitho, fit Dumaresq en lui indiquant son verre, et dites ce que vous avez à dire. Il est plus important pour moi de savoir ce que vous pensez que de vous exposer mes propres vues – cela semblait l’amuser. Ce genre de chose peut très bien nous arriver à nous aussi, mais, au moins, nous avons la chance de l’avoir.

Et il balaya le carré d’un grand geste circulaire. Il voulait parler du bâtiment, de son bâtiment, comme s’il s’agissait de la chose qu’il aimait le mieux au monde.

— C’est un bien beau navire, monsieur, et je suis fier de servir à son bord.

— Je vois.

Dumaresq se pencha pour remplir les verres. Il avait des mouvements de félin, mais en usait parcimonieusement, comme de sa force.

— J’ai appris votre récent malheur. Non, fit-il en levant la main, pas par quelqu’un du bord. J’ai mes propres moyens d’information et j’aime à connaître mes officiers comme je connais mon bâtiment. Nous allons appareiller bientôt pour une croisière qui promet d’être très fructueuse, mais qui peut aussi bien se révéler un échec. Peu importe, ce ne sera en tout cas pas facile. Il nous faut oublier le passé, nous sommes sur un petit bâtiment, et chacun doit remplir son rôle.

» Vous avez servi sous les ordres de capitaines de grande valeur, et il est certain que vous avez beaucoup appris. Mais il n’y a guère de passagers à bord d’une frégate, et en tout cas pas les lieutenants. Vous ferez des erreurs, je les pardonnerai, mais je serai impitoyable si vous faites mauvais usage de votre autorité. Evitez de favoriser tel ou tel, car il en usera contre vous si vous n’y prenez garde.

Il eut un petit rire en voyant l’air grave de Bolitho.

— Il est plus difficile d’être lieutenant que de le devenir. Les gens vont vous observer si vous hésitez, et il vous faudra décider par vous-même. Les jours anciens sont abolis depuis le moment où vous avez quitté le poste des aspirants. Il n’y a pas place pour les frictions à bord d’un petit bâtiment. Vous devez devenir partie intégrante du navire, vous voyez ce que je veux dire ?

Sans s’en apercevoir, Bolitho se retrouva assis au bord de son siège. Cet homme étrange avait un pouvoir d’hypnotiseur. De ses yeux largement écartés émanait une surprenante impression d’autorité.

Dumaresq leva la tête en entendant piquer deux coups de cloche.

— Allez vous restaurer, je n’ai pas besoin de vous demander si vous avez faim. Les opérations de recrutement montées par Mr Palliser conduisent inévitablement à ce genre de résultat.

Et tandis que Bolitho se levait, il ajouta doucement :

— Cette campagne est importante pour beaucoup de gens à bord. La plupart de nos aspirants ont des parents inquiets de les voir se distinguer alors que la plus grande partie de la flotte pourrit à quai. Nos officiers mariniers sont de première bourre et de nombreux quartiers-maîtres également. Quant aux autres, ils apprendront. Dernière chose, monsieur Bolitho, et je suis certain de ne pas avoir à le répéter. S’il est une qualité essentielle à bord de la Destinée, c’est la loyauté. Loyauté envers moi, envers le bâtiment et envers Sa Majesté britannique. Et dans cet ordre !

Tout remué par cet entretien, Bolitho se retrouva de l’autre côté de la cloison sans même s’en rendre compte.

Poad rôdait dans les environs, tout excité.

— Alors, c’est terminé, monsieur ? J’ai pris soin de vos vivres, et ils sont en sûreté, juste comme vous aviez dit. Et puis, j’ai réussi à retarder le dîner jusqu’à ce que vous arriviez, ajouta-t-il en montrant la direction du carré.

Bolitho entra. La pièce était bruyante et animée : rien à voir avec sa première impression.

Palliser se leva et déclara brusquement :

— Nous avons un nouveau membre, messieurs.

Rhodes lui fit un grand sourire, Bolitho fut heureux de retrouver ce visage amical.

Il serra les mains à la ronde et balbutia quelques mots de circonstance. Julius Gulliver, le maître d’équipage, était trait pour trait conforme à la description de Rhodes : mal à son aise, presque fuyant. John Colpoys, commandant le détachement de fusiliers, ressemblait à une tache écarlate. Il lui serra vigoureusement la main en s’exclamant :

— Enchanté, mon cher camarade !

Avec son air de chouette, le chirurgien était un homme rond et jovial, qui répandait une forte odeur de brandy et de tabac. Samuel Codd, le commis, était là également, étrangement chaleureux pour un représentant de cette race, et pas réellement fait à peindre. Sa mâchoire supérieure, ornée de grandes dents, surmontait un minuscule menton fuyant, si bien que la moitié supérieure de sa figure donnait l’impression de dévorer l’autre.

— J’espère que vous jouez aux cartes, fit Colpoys.

— Laissez-lui sa chance, intervint Rhodes. Il te prendra ta chemise si tu le laisses faire ! prévint-il Bolitho.

Celui-ci prit place près du chirurgien, dont le nez s’ornait de besicles cerclées d’or. L’objet disparaissait presque totalement entre ses deux grosses joues rouges.

— Terrine de porc, annonça-t-il. J’en déduis à coup sûr que l’appareillage ne saurait tarder. Et ensuite – coup d’œil au commis –, nous retomberons dans les viandes de Samuel, qui sont probablement périmées depuis une bonne vingtaine d’années.

Les verres tintaient, l’atmosphère s’emplit d’un délicieux fumet de nourriture.

Du coin de l’œil, Bolitho fit le tour de la tablée : voilà à quoi ressemblait un carré lorsque les officiers se trouvaient loin de la vue de leurs subordonnés.

— Comment cela s’est-il passé avec lui ? murmura Rhodes à son oreille.

— Le capitaine ?

Bolitho réfléchit un instant, le temps de remettre ses impressions en ordre.

— Il m’a beaucoup impressionné, il est tellement, tellement… comment dire ?…

Rhodes fit signe à Poad de lui apporter la carafe de vin.

— Tellement laid ?

— Non, répondit Bolitho avec un petit sourire, c’est autre chose. Il est un peu effrayant.

Palliser interrompit leur échange :

— Richard, dès que vous aurez terminé, vous irez faire le tour du bord, de la quille à la pomme du grand mât. Si quelque chose vous échappe, demandez-moi. Repérez le plus possible d’officiers mariniers et mettez-vous en tête les noms de tous les hommes de votre division.

Il fit au fusilier un clin d’œil qui n’échappa pas à Bolitho.

— Et je suis certain qu’il voudra vérifier à quel point ses hommes valent bien ceux qu’il nous a ramenés tout à l’heure.

Bolitho regarda médusé l’assiette qu’on lui servait : elle était si pleine qu’on n’en voyait pas le bord.

Palliser venait de l’appeler par son prénom, il s’était même livré à une grosse plaisanterie sur ses récents exploits. Ainsi, voilà qui se cachait derrière le masque de la hiérarchie et les formalités rigides du commandement !

Avec un peu de chance, se dit-il en faisant le tour de la table, il serait heureux avec ces hommes-là.

— Je me suis laissé dire que nous appareillions à la marée de lundi, lui glissa Rhodes entre deux bouchées. Un officier du cabinet de l’amiral est venu à bord hier, c’est un signe qui ne trompe guère.

Bolitho essaya de se rappeler ce que lui avait dit le capitaine : ah oui ! la loyauté. Il fallait oublier tout le reste, tant que cela ne prêtait pas à conséquence. Dumaresq avait répété presque mot pour mot la dernière phrase de sa mère : la mer n’est pas faite pour les faibles.

On entendait des bruits de pieds sur le pont, le fracas des filets de vivres qui tapaient contre la muraille dans le hurlement des sifflets.

La terre s’éloignait déjà, cela faisait du bien de s’en aller.

Le lundi matin, comme l’avait prédit Rhodes, le vingt-huit de Sa Majesté britannique Destinée commença ses préparatifs d’appareillage. Ces quelques jours étaient si vite passés que Bolitho aspirait à la tranquillité de la mer après le rythme trépidant du mouillage. Palliser l’avait fait travailler par bordée, pratiquement sans aucune pause. Le premier lieutenant ne prenait jamais rien pour argent comptant : il l’interrogeait donc chaque jour sur ce qu’il avait fait depuis la veille, ses impressions, ses suggestions en matière de changement de poste ou de rôle. Prompt à manier le sarcasme, Palliser n’hésitait pas à mettre à profit les idées de ses subordonnés lorsqu’elles lui semblaient judicieuses.

Bolitho se souvenait souvent de ce que Rhodes lui avait dit à son propos : il aimerait bien commander à son tour. Le premier lieutenant était certainement homme à se mettre en quatre pour son capitaine et son bâtiment, mais aussi à ne pas tolérer le moindre signe d’incompétence qu’on pourrait lui faire assumer.

Bolitho avait donc travaillé dur pour apprendre à connaître tous les hommes avec qui il aurait directement affaire. Les chances de survie d’une frégate ne dépendent pas de l’épaisseur de sa coque, comme pour un grand bâtiment, mais de l’agilité de ses hommes. L’équipage était donc organisé en divisions, ce qui lui donnait toute la souplesse nécessaire.

Avec son fouillis de toile, haubans, manœuvres, huniers, perroquets et autres cacatois, ses focs et clinfocs, le mât de misaine était celui qui permettait à la frégate de virer de bord rapidement, de venir dans le lit du vent ou au contraire de lofer pour passer derrière l’ennemi. À l’autre bout du bâtiment, les barreurs et le maître avaient tous les moyens à leur disposition, mâts et voiles, pour se caler précisément au cap souhaité.

Bolitho avait la charge du grand mât : le plus grand bien sûr, mais aussi le plus difficile et celui auquel on affectait des gabiers qui devraient grimper en haut sans réfléchir, quelque temps qu’il fasse.

Les gabiers volants constituaient l’élite de l’équipage. Restaient sur le pont, pour s’occuper des manœuvres courantes et des cabestans, les terriens, les recrues trop récemment embarquées, et tous ceux qui n’avaient plus assez de forces pour se mesurer à la toile durcie par le sel, à une centaine de pieds au-dessus du pont, voire plus.

Rhodes était responsable du mât de misaine, tandis qu’un officier marinier s’occupait de l’artimon. Ce mât était généralement considéré comme le plus facile : le plan de voilure était plus réduit, des fusiliers et une poignée de marins suffisaient à la tâche.

Bolitho consacra beaucoup de temps à faire la connaissance du bosco, homme impressionnant du nom de Timbrell. De grande taille, buriné par la mer, balafré comme un guerrier antique, c’était le vrai roi du bord. À la mer, le bosco relevait directement du premier lieutenant. C’est lui qui réparait les avaries causées par le gros temps, remettait en état espars et gréement, refaisait les peintures, s’assurait de l’étanchéité des ouvertures de coque et veillait d’une façon générale sur les corps de métier correspondants. Charpentiers, voilier, forgeron, cordier, tous dépendaient peu ou prou de lui.

Homme de mer jusqu’au bout des ongles, le bosco pouvait aussi bien se montrer coopérant avec un jeune officier que se révéler un ennemi redoutable si on lui cherchait noise.

Ce lundi-là, le branle-bas fut sonné avant le lever du jour et le coq se dépêcha de servir le déjeuner, comme s’il avait lui aussi hâte de lever l’ancre.

Vérification des rôles, appel général. Un terrien aurait eu une impression de chaos sans nom : des bouts traînaient partout sur les ponts, des hommes s’agitaient dans les hauts pour déferler les voiles qui avaient gelé durant la nuit.

Bolitho avait aperçu plusieurs fois le capitaine, venu dire un mot à Palliser ou discuter avec Gulliver, le maître d’équipage. S’il était tendu, il n’en laissait rien paraître. Bien au contraire, il arpentait le gaillard de son pas caractéristique, comme s’il pensait déjà à quelque chose de beaucoup plus important que son bâtiment.

Officiers et officiers mariniers avaient mis leurs ternes habits de mer, si bien que Bolitho et les aspirants fraîchement embarqués paraissaient insolites dans leurs uniformes tout neufs aux boutons encore brillants.

Bolitho avait reçu de sa mère deux lettres, expédiées de Falmouth. Il la voyait encore comme à son départ, frêle et ravissante. Certains disaient même qu’elle ne vieillissait pas, qu’elle était restée la jeune Écossaise dont la fraîcheur avait séduit le capitaine James Bolitho dès la première rencontre. Elle semblait bien trop frêle pour supporter le poids de la maison et gérer la propriété. Hugh, son frère aîné, avait repris la mer sur une frégate après avoir commandé brièvement le cotre Le Vengeur, et leur père n’était toujours pas de retour. Sa vie n’en était que plus difficile. Leur sœur Félicité avait quitté la maison pour épouser un officier, et la plus jeune, Nancy, devrait bientôt songer à en faire autant.

Bolitho emprunta le passavant où les marins rangeaient les hamacs. Pauvre Nancy ! La disparition de son ami avait été un coup terrible, et elle n’avait aucun moyen de se changer les idées.

Il prit soudain conscience d’une présence et se retourna : c’était le chirurgien qui contemplait le rivage. Il n’avait pas perdu son temps, en bavardant avec lui, au moins ! Encore un bel original, celui-là ! Tous les chirurgiens qu’il avait connus jusqu’alors étaient des médiocres, plus bouchers que médecins et les équipages craignaient comme la peste leurs scies et leurs couteaux, bien plus qu’une bordée ennemie.

Mais Henry Bulkley n’appartenait pas à cette race. Il avait possédé à Londres un cabinet prestigieux, où affluaient des clients aussi peu malades qu’ils étaient exigeants.

Il avait raconté sa vie à Bolitho pendant un quart de nuit.

— J’ai fini par détester tous ces bien portants et leur suffisance, des gens qui ne sont contents que lorsqu’ils sont malades, et j’ai pris la mer pour leur échapper. À présent, je soigne pour de bon, et je suis bien débarrassé de tous ces ânes, incapables de seulement connaître leur propre corps. Je suis devenu un professionnel, tout comme Mr Vallance, notre canonnier, comme le charpentier et les autres. Ou comme ce pauvre Codd, qui compte et recompte à chaque mille ses provisions de fromage, de bœuf salé, de bougies et son stock d’uniformes. Et puis, ajouta-t-il avec un sourire de contentement, j’aime découvrir des terres inconnues. Cela fait trois ans que je navigue avec le capitaine Dumaresq. Lui, naturellement, ne sera jamais malade, c’est une chose qu’il ne peut pas se permettre !

— Cela donne un sentiment étrange, fit Bolitho, de partir ainsi : destination inconnue, et seuls le capitaine plus deux ou trois autres savent où nous allons. Nous ne sommes pas en guerre, et pourtant nous appareillons.

Il aperçut soudain le grand Stockdale aligné avec ses camarades au pied du grand mât. Bulkley surprit son regard.

— On m’a raconté ce qui s’est passé à terre. On peut dire que vous avez fait une sacrée recrue avec ce gaillard-là. Dieu du ciel, il est fort comme un bœuf ! Je suis sûr que Little a dû ruser pour gagner la mise. À moins, poursuivit-il avec un regard en biais, qu’il n’ait eu envie de venir avec vous, ou de fuir quelque chose, comme la plupart d’entre nous, hein ?

Bolitho sourit : Bulkley ne connaissait pas le fin mot de l’histoire. Stockdale avait été affecté à l’artimon et son poste de combat était une pièce de six livres sur le gaillard. Le tout avait été dûment couché par écrit et sèchement paraphé par Palliser.

Mais Stockdale s’était débrouillé pour y mettre bon ordre : il faisait maintenant partie de la division de Bolitho et son poste de combat était devenu une pièce de douze dans la batterie, précisément placée sous sa responsabilité.

Une embarcation quittait la terre. Toutes les autres avaient été saisies sur leur chantier bien avant le chant du coq.

Leur dernier lien avec la terre, les dernières lettres de Dumaresq, quelques dépêches qui aboutiraient sur le bureau de l’amiral. Une brève note au Premier Lord de l’Amirauté, une autre croix sur les cartes. Un petit bâtiment appareillait avec des ordres sous scellés : pas de quoi fouetter un chat – la routine.

Palliser s’avança vers la lisse du gaillard, son porte-voix sous le bras. On eût dit un oiseau de proie guettant sa prochaine victime.

Bolitho leva les yeux pour observer la longue flamme rouge en tête du grand mât : petit vent de nord-ouest. Dumaresq ne pouvait lever l’ancre avec moins d’air. C’est une manœuvre qui n’est jamais facile, surtout après trois mois d’inactivité. Il suffit d’un matelot ou d’un officier marinier qui transmet mal un ordre, et la plus belle sortie peut se transformer en misérable patouille.

— Tous les officiers à l’arrière, je vous prie ! cria Palliser.

Il avait l’air irrité, sans doute rendu nerveux par l’importance de l’instant.

Bolitho alla rejoindre Rhodes et Colpoys. Le médecin et le maître d’équipage se tenaient discrètement en retrait.

— Nous levons l’ancre dans une demi-heure, leur annonça Palliser, rejoignez vos postes et surveillez vos hommes. Dites aux boscos de repérer tous ceux qui font mal leur boulot, et faites noter les noms.

Il jeta un coup d’œil malicieux à Bolitho.

— J’ai affecté ce Stockdale sous vos ordres. Sans que je sache très bien pourquoi, il avait l’air persuadé que c’était la seule solution. Vous devez avoir quelque talent particulier, monsieur Bolitho, encore que je n’aie jamais eu l’occasion d’observer ce genre de chose !

Ils le saluèrent et gagnèrent leurs postes d’appareillage. Mais les cris de Palliser dans son porte-voix les poursuivaient toujours :

— Monsieur Timbrell ! Dix hommes de mieux au cabestan ! Et où est donc ce foutu chantre ?

Grands moulinets du porte-voix :

— Par les bouches de l’enfer, monsieur Rhodes, je veux voir cette ancre à pic, et pas la semaine prochaine, maintenant !

Dans un lent cliquetis, le cabestan commença à virer péniblement sous la poussée des hommes attelés aux anspects. Les manœuvres avaient été élongées. Officiers et aspirants, répartis à intervalles réguliers, faisaient comme des taches blanches et bleues au milieu d’une nuée de matelots. Le navire sembla s’animer, comme s’il était lui aussi impatient de s’en aller.

Bolitho jeta un bref coup d’œil à la terre. Le soleil avait disparu, une légère brume s’élevait lentement sur l’eau et faisait frissonner les hommes qui battaient la semelle.

Little s’en était pris à deux novices à qui il expliquait on ne sait quoi, à grand renfort de gestes. Apercevant Bolitho, il soupira :

— Tudieu, monsieur, c’est des vrais cabillots !

Bolitho surveillait ses deux aspirants, se demandant comment il pourrait bien briser la barrière qu’il avait vue se créer dès qu’il était monté sur le pont. Il avait eu tout juste le temps de leur dire quelques mots la veille. La Destinée était leur premier embarquement et, à l’exception de deux d’entre eux, tous ces jeunes gens étaient dans le même cas. Peter Merrett était si minuscule qu’il avait du mal à se frayer un chemin au milieu des cordages, des apparaux et des marins affairés. Agé de douze ans, il était le fils d’un éminent avocat d’Exeter, lui-même frère d’amiral : ascendance propre à lui donner tous les espoirs. Plus tard, si Dieu lui prêtait vie, le petit Merrett pourrait en tirer profit, et tant pis pour les autres. Mais pour l’heure, tremblant et passablement effrayé, il était la détresse personnifiée. L’autre s’appelait Ïan Jury, quatorze ans, et originaire de Weymouth. Son père avait été un officier de marine tout à fait honorable, mais il avait disparu dans un naufrage alors que son fils n’était encore qu’un enfant. Sa famille avait dû juger que la marine était une issue naturelle pour Jury, sans parler du fait que cela lui retirait une sérieuse épine du pied.

Bolitho les salua d’un léger signe de tête. Plutôt grand pour son âge, les cheveux blonds, un physique ouvert, Jury avait de la peine à tenir en place. Il parla le premier.

— Savez-vous où nous allons, monsieur ?

Bolitho le regarda, l’air grave. Jury avait quatre ans de moins que son ami disparu, mais ses cheveux étaient de la même couleur.

Il dut se ressaisir pour lui répondre :

— Nous serons au courant bien assez tôt – le ton était plus dur qu’il ne l’aurait souhaité. Pour autant que je sache, le secret est soigneusement gardé.

Jury le dévorait des yeux. Bolitho savait par cœur ce qui se passait dans sa tête, tout ce qu’il avait envie de demander, sa soif de comprendre ce qui se passait dans ce monde totalement nouveau pour lui. Exactement ce qu’il était au même âge.

— Monsieur Jury, je souhaite que vous montiez dans la hune pour surveiller les gabiers. Vous, monsieur Merrett, vous resterez avec moi pour transmettre les messages en cas de besoin.

Et il leur fit un grand sourire. Ils exploraient anxieusement du regard le fouillis des haubans et des enfléchures, la grand-vergue et les autres, encore plus haut, comme des arcs gigantesques.

Les deux aspirants les plus anciens, Henderson et Cowdroy, étaient affectés à l’artimon, tandis que les deux autres assistaient Rhodes à la misaine.

Stockdale était tout près.

— Belle matinée pour s’en aller, monsieur, lâcha-t-il gaiement.

Bolitho sourit en revoyant cette figure invraisemblable.

— Alors, Stockdale, pas de regrets ?

Le géant secoua la tête.

— Non monsieur, j’avais besoin de changer d’air, et ça fait très bien l’affaire.

Little, qui se trouvait de l’autre côté d’une pièce de douze, éclata de rire :

— Faut dire que tu pourrais soulever la grand-vergue à toi tout seul !

La lumière du jour montait. Des hommes discutaient, d’autres montraient des amers sur la côte. La réprimande du gaillard ne tarda pas.

— Monsieur Bolitho, veillez à ce que ces hommes se tiennent convenablement ! On dirait un champ de foire, pas un bâtiment de guerre !

— Bien monsieur, fit Bolitho, piteux.

Et il ajouta à l’intention de Little :

— Prenez le nom du premier qui…

Il n’avait pas terminé sa phrase que le haut couvre-chef du capitaine apparut dans l’échelle. L’air indifférent, il se dirigea vers le côté de la dunette.

— Écoutez-moi, vous deux, dit Bolitho à ses deux aspirants en baissant le ton. La vitesse est importante, mais il est encore plus essentiel de faire les choses correctement. Ne soyez pas sur le dos de vos hommes inutilement : la plupart sont marins depuis des années. Observez, apprenez, soyez prêts à intervenir si un nouveau a un problème.

Ils acquiescèrent gravement, comme s’ils venaient de recueillir l’avis d’un sage.

— Attention devant, monsieur !

C’était Timbrell, le bosco. Il donnait l’impression d’être partout à la fois. S’arrêtant ici pour montrer à un homme comment tenir une écoute, là pour enseigner à un autre à ne pas s’approcher d’une poulie en risquant la moitié de la main quand ses camarades hisseraient. Il était tout aussi prêt à faire tomber sa canne sur les épaules de qui commettait une bêtise. Ce qui se terminait, pour l’intéressé, par un cri de douleur et, pour l’assistance, par des ricanements.

Bolitho vit parler le capitaine et, quelques secondes plus tard, le pavillon rouge battait fièrement à la corne, raide comme une feuille de tôle.

Et de nouveau Timbrell, penché entre les bossoirs, l’œil rivé sur la surface :

— A pic, monsieur !

— Tiens bon à virer !

Bolitho se retourna pour voir ce qui se passait derrière. Gulliver était à son poste avec pas moins de trois hommes de barre. On ne prenait pas de risque : Colpoys et ses fusiliers aux drisses d’artimon, l’aspirant de quart, celui des signaux, Henderson, avait les yeux levés vers le pavillon, vérifiant une fois de plus qu’il n’y avait pas de sac de drisse. Pendant une manœuvre d’appareillage, pareille chose lui aurait coûté la vie.

Palliser se tenait à la lisse de dunette avec le second du maître d’équipage. Le capitaine était un peu plus loin, bien campé sur ses jambes, les mains dans les poches, comme s’il savourait le spectacle de tous ceux qui se trouvaient sous son commandement. Surpris, Bolitho vit qu’il portait un gilet rouge sous son manteau.

— A envoyer les focs !

Les hommes d’avant se réveillèrent, et un paysan fraîchement converti en matelot faillit être emporté par la toile qui battait dans tous les sens.

Palliser avait les yeux fixés sur le capitaine. Un signe imperceptible : le premier lieutenant emboucha son porte-voix et cria :

— En haut, à larguer les huniers !

Il y avait foule au bas des enfléchures, et les gabiers s’élancèrent comme des singes. Quant aux gabiers volants, qui devaient entrer en scène lorsque la frégate ferait route, ils allèrent se percher encore plus haut.

Bolitho s’obligea à afficher un petit sourire pour cacher sa nervosité quand Jury s’élança à son tour derrière les autres.

— Je crois que je ne me sens pas bien, lui glissa Merrett, avec l’air du plus profond désespoir.

Slade, adjoint du maître d’équipage, qui passait à côté, s’arrêta en ricanant :

— Eh bien, maîtrisez-vous un peu ! Si vous vous avisez de dégueuler, je vous fais coucher sur un canon et vous aurez droit à six coups de baguette pour vous durcir le cuir !

Et il reprit sa course, aboyant des ordres, poussant les hommes aux fesses pour leur faire gagner leur poste. Il avait déjà oublié l’aspirant.

— Mais c’est que je me sens vraiment malade, monsieur, renifla Merrett.

— Restez à côté de moi, répondit Bolitho.

Il surveillait alternativement le porte-voix et ses hommes alignés le long des vergues. La grand-voile, à moitié déferlée, faisait déjà des poches où le vent s’engouffrait.

— Paré aux écoutes !

— Haute et claire, monsieur !

Comme un animal qui se débarrasse de ses liens, la Destinée tomba sous le vent. Les voiles se libéraient l’une après l’autre dans de grands claquements, tandis que les hommes se débattaient avec bras et écoutes pour les amener à raison.

Bolitho frémit en voyant un gabier glisser sur la grand-vergue, mais il parvint à se rattraper in extremis et l’un de ses camarades l’aida à reprendre sa place.

La frégate abattait toujours, la terre défilait sous les bossoirs et la gracieuse figure de proue.

— Mettez du monde sur l’écoute au vent ! Prenez le nom de cet homme ! Monsieur Slade, allez voir comment est l’ancre, et vivement !

Palliser n’arrêtait pas. Lorsque l’ancre fut saisie, il envoya les hommes de bossoir aider ailleurs.

— A envoyer grand-voile et misaine !

Les énormes voiles jaillirent de leurs vergues et se tendirent brutalement sous la poussée du vent. Bolitho se posa une seconde pour reprendre son souffle et assurer sa coiffure. La côte était passée de l’autre bord et, obéissant à la barre, la ligne des mâts était maintenant pointée sur le goulet. La mer grisâtre l’attendait de l’autre côté.

Les matelots luttaient avec les cordages enchevêtrés. Au-dessus de leurs têtes, rappelées par les manœuvres sous tension et la force du vent, les poulies gémissaient sous l’effort qu’on leur imposait.

Apparemment, Dumaresq n’avait toujours pas fait un geste. Le menton enfoui dans le col de son manteau, il observait la côte.

Bolitho essuya quelques embruns qui lui brouillaient la vue, heureux de constater que ce spectacle lui donnait autant de plaisir qu’au premier jour. Derrière ce goulet et plus loin dans le Sound, Drake s’était porté à la rencontre de la Grande Armada, des dizaines d’amiraux avaient joué leur carrière. Mais à eux, quel sort leur était promis ?

— Un homme de sonde aux bossoirs, monsieur Slade !

Bolitho sentait à présent ce qu’était une frégate. Pas de manœuvre soigneusement calculée. Dumaresq savait que des centaines d’yeux les observaient depuis le rivage et il entendait raser la pointe au plus près, avec six pieds d’eau sous la quille, pas un de plus. Le vent et son bateau le lui permettaient.

Merrett vomissait sans parvenir à se contrôler et Dumaresq espéra que Palliser ne le voyait pas.

Stockdale lovait un bout entre coude et main comme s’il n’avait fait que cela toute sa vie. Sur son énorme bras, l’amarre n’était pas plus grosse qu’un fil à coudre. Avec le capitaine, il faisait certes une belle paire.

— Je suis enfin libre, fit Stockdale.

Bolitho s’apprêtait à répondre, mais se ravisa : Stockdale se parlait à lui-même.

La voix de Palliser le sortit brutalement de sa méditation.

— Monsieur Bolitho ! Je vous dis tout de suite que je veux voir ces huniers établis avant le détroit ! Cela vous laissera peut-être le temps d’abandonner vos rêves et de vous consacrer à votre devoir !

Bolitho le salua et se dirigea vers ses officiers mariniers. Au carré, Palliser était charmant mais, sur le pont, c’était un vrai tyran.

Penché par-dessus un canon, Merrett vomissait dans un dalot.

— Bon sang de bois, monsieur Merrett ! Nettoyez-moi cette saloperie ! Et maîtrisez-vous donc !

Il se détourna, gêné de ce qu’il venait de faire : à tyran, tyran et demi.

 

Le feu de l'action
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